Chez Julien

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Nous sommes rue Lepic, tout en bas, au 2 rue Lepic. Chez Julien. La rue entame là son ascension de la Butte. Nous avons dépassé d’autres cafés : le café des Deux Moulins, celui d’Amélie Poulain, le Lux Bar, sur le même trottoir, pas mal, vu de l’extérieur, mais notre but, c’était Chez Julien. Parce que. Comme ça, pour voir. Laisser au hasard le choix d’une découverte. La rue Lepic, tout de même, c’est un mythe, un de ces noms parigots qui font venir du bout du monde.

Cette grimpée serpentant au flanc de la Butte entre des maisons grises. J’ai en mémoire une image, vue il y a si longtemps dans un livre de photos d’après-guerre, des photos en noir et blanc : un vieux petit bonhomme sortant d’un immeuble de la rue Lepic, un sac à provision à la main, ses chaussures sont bien cirées. Pourquoi ce détail incrusté dans ma mémoire ? Ce devait être le matin, comme aujourd’hui, la rue est vide, fraîche, il regarde vers le bas, on ne sait quoi, une femme à une fenêtre là-haut, elle le suit des yeux… Voilà que j’anime les images, je reviens à la rue Lepic d’aujourd’hui : des bagnoles plein la rue, la foule des touristes. Décompte très très partiel : une bande de Japonais, sacoches photo  en bandoulières, casquettes au crâne, yeux tournant à 180 degrés pour pas perdre une miette du paysage, attaquent la montée, piolets à la main, cordages à l’épaule pour la descente en rappel tout à l’heure. Suivent des Africains et des Africaines, des Américains et des Américaines… Et des peintres en bâtiment : comme un peu partout, dans Paris, les métiers du bâtiment ont du travail. Montmartre n’y échappe pas.

Et Chez Julien ?

Je ne m’attendais pas à trouver un tout petit bistrot, large comme un autobus parisien, tout en longueur, au mobilier dépareillé, deux ou trois tables dehors, sur le trottoir pas large, à peine si on peut parler de terrasse, une déco en accord avec le reste : de bric et de broc, des chapeaux empilés sur une étagère… Et surtout, partout aux murs des images de pin-up : chromos, cartes postales, plaques émaillées des années 50… Une Amérique sexy nous enveloppe, nous berce d’une musique arrivant de quelque part entre le bout du comptoir à l’ancienne et de la cambuse (bien notée sur Tripadvisor, faut-il souligner). Devant l’entrée, à une table, deux types causent et causeront jusqu’à notre départ, trop loin je ne saisis pas le contenu de leurs échanges mais ils ont l’air de bien se marrer à certains moments, et de se sentir chez eux, Chez Julien. Le plus petit, âge indéfinissable, cheveux bouclés sous un chapeau tout aussi improbable que le reste de son look, porte une moustache fournie dont les pointes rebiquent savamment à la Dali. Un grand garçon avec des dreadlocks  entre, rejoint sa poupée. Après avoir sifflé sur le pouce un petit noir, ils s’en vont en saluant le garçon derrière son bar, un gars en tee shirt et jean qui ne s’appelle pas Julien, qui discute un moment avec un personnage bedonnant, un habitué, de politique, à bâtons rompus : des guerres du Moyen-Orient, de Saddam qu’ils ont armé avant de le dessouder. Comment s’appelait-il le Président des USA ? Pas Bush, l’autre… La conversation cahotante doit avoir été provoquée par la présence dans nos murs depuis ce matin de Donald Trump. Les comptoirs de Paris réfléchissent constamment les échos de l’actualité, c’est connu ; avec un peu de matière grise sous le zinc, ils en remontreraient à plus d’un commentateur radio. On se serre un peu devant le comptoir pour faire place à un jeune couple –en quelle langue s’expriment-ils ? Le gars, un bel homme à la somptueuse voix de basse reste à peine le temps de se rouler une cigarette et sort la fumer sur le trottoir, la fille s’en roule une de son côté. Elle a un type métissé, de quel coin du monde ? Paris, ma ville, ma ville-monde.

Cela fait belle lurette que nous avons consommé nos tartines, faute de croissants, bu nos cafés américains, savouré les impressions gratuitement offertes par nos contemporains montmartrois, et, l’addition, modeste, réglée, nous sommes repartis vers Pigalle par le boulevard ombré, entre deux rangées de sex-shops ridicules.

 

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Aujourd’hui, c’est décidé, nous quittons la rive gauche que nous avons trop sillonnée, pour aller vers Montmartre. Comme nous ne sommes pas très familiers de ces quartiers, nous avons un peu erré sur des trottoirs sales ou au-dessus du Cimetière de Montmartre avant d’arriver rue Lepic, pas chez Amélie Poulain, non, mais un peu plus bas, trottoir d’en face, Chez Julien, près du métro « Blanche ».

Le bistrot est petit, très petit. Il est décoré de chapeaux et d’images de pin-up des années 50. Derrière le comptoir (est-ce lui, Julien ?), un serveur à catogan, barbichette et tee-shirt à message, gentil et efficace. Mais plus de croissants : on nous propose des tartines qui arrivent sur ardoise, accompagnées d’une énorme tranche de beurre et d’un joli pot de confiture de fraise. Le pain est légèrement mou mais c’est normal : le temps est moite. Nous avons faim : la butte est « dure aux miséreux », comme dit la chanson, et les montées et descentes nous ont fatigués.

La terrasse, chez Julien, est minuscule et les tables se touchent. Un petit monsieur à la moustache de Dali, surmonté d’un chapeau de femme rouge sur ses cheveux bouclés, discute avec un autre qui boit ses paroles. Il a l’air de raconter sa vie. À un moment, j’entends juste qu’il parle d’Hitler et demande à son interlocuteur : « Tu savais, toi, qu’il était drogué ? ». Une belle fille noire passe sur le trottoir avec un port de reine. Il s’interrompt un instant pour dire, discrètement : « Magnifique ! » puis continue son récit tout en fumant sans arrêt.

Les autres consommateurs passent peu de temps dans ce local. Ils jettent quelquefois un œil sur Le Parisien posé dans le coin du comptoir et prennent un café debout. Parfois, ils demandent à l’emporter et il leur est servi alors dans un gobelet en carton. Une famille anglaise avec trois enfants pose ses sacs à dos sur une table en terrasse, sans même prendre le temps de s’assoir : pour le prix de deux Expresso, tout le monde ira aux toilettes. Une halte technique indispensable avant l’ascension vers le Sacré-Cœur.

Le dernier client que nous avons vu, un monsieur dans la soixantaine, a commencé par parler du ciel trop gris qui annonçait déjà l’automne. Mais, assez vite, je ne sais comment, la conversation s’est orientée vers le rôle joué par les États-Unis au Moyen-Orient depuis plusieurs années et leur responsabilité dans la situation actuelle. Le serveur avait du répondant sur ce thème. Ils sont remontés à la guerre entre l’Iran et l’Irak. On ne fait pas que boire dans les bistrots, surtout les petits : on rafraîchit ses connaissances, on confronte des points de vue, on affirme ses valeurs, on communique.

Le soir, Chez Julien, ce doit être très différent car la carte, écrite à la main, énumère un tas de cocktails et des prix spéciaux en happy-hours. Une autre ambiance, sans doute, plus jeune et festive, et même carrément rock à ce qu’il paraît.

Chez Julien
2 rue Lepic
75018 PARIS
http://chezjulienparis.fr/fr

4 réflexions sur “Chez Julien

  1. « Et ça grouille et ça vit Dans cett’ vieill’ rue d’Paris.. Il y a des cabots Et des goss’s à Poulbot,
    Aux frimousses vermeil’s » chantait Yves Montand évoquant la rue Lepic
    Rue Lepic ou chez Julien c’est Montmartre qui s’offre en spectacle, on y croise des individus bien pittoresques ; nous sommes à Paris la « ville-monde » de la France et le café Julien si petit offre à tous une immense convivialité. C’est un café- tartines bien sympathique que vous nous proposez.

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  2. Cela me rappelle le déjeuner -Fête ds Mères de cette année où la petite tribu s’est retrouver pour déjeuner Chez Plumeau , place du calvaire )à Montmartre.. Nous avions un peu erré aux alentours avec Georges, ayant lu mon GPS à l’envers (!! c’est bien moi..) mais nous avons monté la pente, nous sommes passés rue Lepic et, avec un drôle de sentiment de faire un saut dans les années 50.
    Mais heureusement Chez Plumeau -mélanges, ambiance musique amérique du sud ( le patron en short, cheveux longs, venu de je ne sais de quel pays sud-américain) – accueil ô combien chaleureux, un peu « bazar » , m’ont ramenés à aujourd’hui dans une douce certitude que l’amour partagé ne se compte pas en années, au milieu de mes diverses générations et origines..
    C’est ce que m’évoque votre Chez Julien!
    Bises à vous 2 et Merci de nous balader dans Paris que j’aime.

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